Trop de médicaments

 

Le sujet extrêmement sensible de l’usage des médicaments en France est d’actualité : sont ils en majorité inutiles ou même dangereux, et en tout cas trop coûteux par rapport à leur service rendu ?
En plein procès du Mediator, nous sommes en pleine polémique. Le livre des professeurs Even et Debré, auteurs que nous recevrons prochainement, connaît un énorme succès de librairie. Il suscite des critiques, notamment des milieux hospitalo-universitaires, et un manifeste récent de 5 autres professeurs, en appelle à « une autre politique du médicament ».
Pouvez-vous nous donner quelques repères dans ce débat ? 

 

 

 
Qu’il y ait trop de médicaments ne devrait pas faire débat : parmi les milliers de spécialités figurant dans le « Vidal » il existe beaucoup de « doublons », ayant la même formulation chimique, les mêmes indications, les mêmes propriétés. En mettre un, soi-disant « nouveau », sur le marché n’apporte rien (comme l’écrit souvent la revue « Prescrire »), mais coûte en études préalables à l’autorisation de mise sur le marché (l’AMM), et en promotion auprès des médecins et pharmaciens. Les génériques répondent, mais en partie seulement, à ce gaspillage.
L’excès ne tient pas seulement au nombre de spécialités, mais aussi à leur prescription : des progrès ont été faits sur les antibiotiques, mais on a reconnu récemment que la prescription généralisée de tranquillisants favorisait l’apparition de démence chez les personnes âgées.
 
De là à écrire que la plupart des médicaments sont inutiles ou dangereux, et livrer au public et aux patients une affirmation qui peut les conduire à abandonner un traitement vital, me semble quelque peu démagogique, et dangereux ; prenons l’exemple des statines contre l’excès de cholestérol, c’est le domaine où ce que l’on appelle la médecine fondée sur des preuves épidémiologiques est la plus incontestable, vis-à-vis de la diminution des infarctus et des AVC. Bien sûr donner ces traitements à des gens qui n’ont pas de risque cardio-vasculaire particulier est abusif, c’est l’intérêt de former les médecins à lire les études publiées et les recommandations, par exemple celles de la Haute Autorité de Santé (l’HAS), et non pas se contenter des petits dépliants des laboratoires pharmaceutiques.
De même affirmer que le diabète se soigne par régime et exercice et que ceux qui n’y arrivent pas ne doivent pas recevoir de médicaments semble peut-être de bon sens, mais méconnaît les mécanismes notamment génétiques de la maladie, et les progrès réels du traitement ces dernières années.
 
 
 Néanmoins le constat des professeurs Even et Debré de la nécessité d’une « autre politique du médicament » paraît partagé ?
 
L’idée d’un livre de référence sur la réduction à quelque 1000 médicaments indispensables semble très intéressante. Ce manuel devrait être élaboré par des référents impartiaux, reconnus dans leur spécialité, et s’appuyer sur les preuves médicales, et sur le service rendu. Les liens des experts avec l’industrie devraient être transparents.
Des progrès dans ce domaine sont en cours avec la modification des procédures de validation et de mise sur le marché, depuis les différentes « affaires » récentes, dont la plus caractéristique des conflits d’intérêt, c’est-à-dire des relations d’argent entre les laboratoires et les experts, est bien entendu celle du Mediator.
 
 
 
 
Comment concilier la nécessité d’une industrie pharmaceutique performante, et la préservation des emplois qu’elle génère, avec cette économie, évaluée à 10 milliards par an, que cette réévaluation et cette réduction du nombre des médicaments entraineraient ?
 
C’est toute la question de la politique de santé. Les laboratoires doivent pouvoir investir dans la recherche de produits réellement nouveaux, et être rétribués pour cette activité créatrice. Les économies devraient d’autre part être utilisées par les institutions pour développer l’éducation à la santé, avec les emplois nécessaires, qui sont nombreux.
Maîtriser la consommation de médicaments est de la responsabilité des médecins comme des patients, les débats actuels, dans leur vivacité, pourraient contribuer à le promouvoir.
  
 
Ecouter la chronique du Pr Alain Krivitzky

 

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