Aspirine et cancer

 

Il y a un an vous nous aviez parlé du rôle possible de l’aspirine dans la prévention et le pronostic de certains cancers. Il semble que de nouvelles publications ont confirmé ou même étendu la portée de ces découvertes. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

 

 

 
Il s’agit de données publiées le mois dernier dans la revue « Lancet », par Peter Rothwell, et la même équipe anglaise d’Oxford. Je rappelle les résultats de la fin 2010 : l’aspirine à des doses quotidiennes de 75 milligrammes jusqu’à 1,2 g, donnée pendant de très longues périodes avec un suivi de 20 ans, (essentiellement pour prévenir des accidents cardiaques et vasculaires), s’était montrée relativement protectrice au bout de 5 ans vis-à-vis de certains cancers chez les hommes, avant tout le cancer colo-rectal, (diminution de 35 à 50% de son incidence) et cette prise diminuait, après la même durée, la mortalité liée à ces cancers.
 
Malgré l’importance et l’originalité de ces publications, fondées sur l’étude de cohortes de plusieurs dizaines de milliers de personnes, des questions restaient en suspens : les femmes étaient-elles concernées au même titre que les hommes, la protection pouvait-elle se révéler avant 5 années d’utilisation, les métastases étaient elles moins fréquentes et moins graves, enfin la mortalité pour d’autres causes était-elle influencée ?
 
 
Et des réponses à ces questions ont été fournies par de nouvelles études ?
 
Peter Rothwell et ses collaborateurs ont étendu leur revue des essais contrôlés à 43 études supplémentaires, que l’aspirine ait été prescrite en prévention dite primaire, c’est-à-dire avant tout accident vasculaire, ou en prévention secondaire après un tel événement pour diminuer le risque de rechute.
La mortalité par cancer est réduite de façon spectaculaire (37%) après une prise continue d’au moins 5 années, permettant de réduire de 12 % la mortalité globale pour les causes non liées à des accidents cardio-vasculaires.
Dans 6 essais à petite dose en prévention primaire chez 35.000 participants, la fréquence du cancer est réduite de 24 % après seulement 3 ans de suivi, aussi bien chez les femmes que chez les hommes. Il semble, sans preuve définitive que non seulement l’incidence des cancers digestifs, mais aussi celle des cancers du sein et de l’utérus a diminué.
 
En ce qui concerne les métastases des cancers, sur 17.000 sujets suivis en prévention vasculaire, il a été observé sous aspirine moins de métastases après 6 ans ½ de suivi,
(moins 36 %). Cet effet est confirmé comme majeur pour les adénocarcinomes (souvent digestifs) ; il s’observe à la découverte du cancer, qui est plus limité lors de son diagnostic, et au cours du suivi d’un cancer traité, notamment si la prise, même à petite dose, d’aspirine a été continuée.
 
 
 
Mais comment peut-on expliquer la découverte de nouvelles vertus de l’aspirine, qui est quand même l’un des médicaments les plus anciens, donnée contre la fièvre, la douleur, ou pour prévenir les thromboses dans la circulation sanguine ?
Il y a sans doute plusieurs explications : tout d’abord l’effet anti-inflammatoire que vous évoquez sur la fièvre et la douleur, peut jouer un rôle sur le développement de lésions inflammatoires pré-cancéreuses, notamment dans l’intestin ; d’autre part l’effet sur les plaquettes sanguines, appelé effet anti-agrégant, très utile pour prévenir la formation de caillots dans les vaisseaux, peut également diminuer la formation de petites migrations de métastases à travers la circulation.
Ces mécanismes pourraient rendre compte de la moindre incidence de cancers et d’un meilleur pronostic à terme.
 
 
 
Va-t-on alors donner de l’aspirine à chacun, pour prévenir ou traiter ces deux fléaux médicaux majeurs que sont maladies cardio-vasculaires et cancers ?
 
Quelques réponses courtes à cette vaste question :
 
En prévention primaire des maladies vasculaires l’effet globalement positif n’est pas établi , sans doute en raison d’un risque hémorragique, contrairement à la prévention secondaire, après l’infarctus, où l’effet anti-agrégant est favorable et même indispensable ;
 
En prévention des cancers de la sphère digestive, on peut s ’attendre à des recommandations d’usage, par exemple chez les sujets à risque familial ;
 
Enfin c’est peut-être au niveau du traitement de cancers diagnostiqués que la prise d’aspirine pourrait se révéler comme une vraie découverte : c’est une belle revanche pour un médicament ancien et peu coûteux…
 
 
Ecoutez la chronique du Pr Alain Krivitzky
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

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