Etre médecin en Seine Saint Denis en 2011

Le département de Seine Saint Denis, appelé couramment le 9.3, est au centre de l’actualité. Le Président de la République s’est rendu le 1er mars à Bobigny pour parler emploi et formation dans un département comptant 17 % de chômeurs ; une page récente du « Monde » évoquait le « SOS des médecins de banlieue » après des agressions de soignants exerçant à Stains et Pierrefitte.
Vous connaissez bien cette banlieue du Nord Est parisien, comme professeur à la Faculté de Bobigny et praticien à l’hôpital Avicenne. L’exercice médical de ville y est il menacé au point de décourager de s’y installer les jeunes médecins que vous formez?

 

Il est vrai que la situation est sérieuse, dans une région où les besoins de santé sont importants, avec une population jeune, 43 % de moins de 30 ans contre 35 % en moyenne nationale de France métropolitaine, et un taux de naissance une fois et demie plus élevé.
La place d’un médecin généraliste et d’une pharmacie, installés à proximité, dans chaque quartier, est vitale pour maintenir le niveau sanitaire, favoriser l’éducation en santé, la prévention des risques majeurs, les maladies cardio-vasculaires, les troubles nutritionnels, les cancers, les maladies liées à la pollution, au tabagisme, entre autres.

Il est donc très préoccupant de constater les agressions, souvent commises par de très jeunes gens, dont ont été victimes des soignants, médecins, pharmaciens, kinésithérapeutes, infirmiers, agressions plus fréquentes depuis 18 mois. Il s’agit surtout de vols, de menaces par des armes, parfois d’agressions physiques directes. Ceci conduit à limiter les visites à domicile, alors que ces visites sont l’occasion de rompre l’isolement de certains patients, de dépister des problèmes d’insalubrité ou de risques domestiques.

Les cabinets médicaux, les pharmacies doivent prendre de plus en plus de précautions pour assurer leur sécurité : horaires plus précoces de fermeture, accès moins libre aux salles d’attente, serrures sécurisées, voire caméras de surveillance…toutes ces précautions nuisent à la proximité, à la convivialité qui ont fait la qualité de la médecine de quartier.

La création de « maisons médicales » sécurisées est intéressante pour assurer une présence de soirée et de weekend sans devoir recourir aux urgences de l’hôpital, mais elle ne remplit pas toutes les missions d’une médecine personnelle, de famille, de proximité.

Les centres de santé (les dispensaires) sont encore présents et actifs dans ce département, soutenus par les municipalités, mais ils connaissent des problèmes financiers qui rendent difficile d’assurer toutes leurs fonctions de soins et de promotion sanitaire.


Face à ce problème, quelles sont les réponses apportées par les mairies, les commissariats, les autorités politiques ?

De nombreuses réunions, des colloques, des plans d’action sont successivement organisés. La population, patients et soignants, n’ont pas l’impression d’en constater des résultats concrets. Ceci a conduit à organiser des pétitions, des journées « Santé morte », à créer des liens entre les soignants entre eux et avec la population. En effet celle-ci est très concernée, très solidaire, consciente que ces violences ne sont le fait que d’une minorité infime de jeunes de ces villes. Comme le dit le Docteur Nicole Legrand, pédiatre revenue à Stains depuis 10 ans : « Je suis très inquiète pour ces jeunes. La solution est plus compliquée et générale que la sécurisation des cabinets. Il faut un vrai diagnostic du malaise social et psychologique qu’ils ressentent ». Et elle ajoute, à propos des adolescents auteurs de violences : « A 14 ans on peut encore changer ».


Mais que dites vous à vos étudiants au moment de choisir une carrière, un lieu d’installation ? Persistez vous à les encourager à devenir médecin en Seine Saint Denis ?

Nous avons le grand privilège d’avoir à Bobigny une faculté de médecine, un CHU de Seine Saint Denis, qui forme beaucoup de jeunes nés dans le département, dont les parents ou les grands parents ont pu eux-mêmes venir assez souvent venir de l’immigration. Notre université peut donc contribuer à restaurer le fameux « ascenseur social », véritable réponse de fond aux problèmes qui génèrent l’insécurité.

Claire, vous aviez reçu ici-même, à « Priorité Santé », cette jeune collègue Yasmine Kassimou, qui exerce à Saint Denis, et qui est un exemple de médecin heureuse de s’être installée dans le 9.3. Je peux évoquer une autre jeune femme médecin, Emilie Bourges, qui vient de soutenir sa thèse consacrée au ressenti de médecins établis depuis des mois ou des années dans le département, et qui expliquent leur choix, nous donnant ainsi des raisons de penser qu’il n’y a pas de fatalité sur la Seine Saint Denis.

Les soignants, comme les enseignants et les élus ont donné l’alarme, les bonnes volontés existent, le 9.3 doit, et peut, si on lui en donne les moyens, tirer avantage de sa vitalité et de sa jeunesse.

Ecoutez la chronique du Pr A. Krivitzky

 

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