20 déc. 2010 - 16:52
Ces informations sont sérieuses et d’une grande portée. L’aspirine, ou acide acétyl-salicylique est l’un des plus anciens traitements connus de la fièvre, de l’inflammation, de la douleur, des rhumatismes..
Les dérivés du saule (salix) ont depuis longtemps laissé place à l’aspirine de synthèse, utilisée à des doses variables : depuis 75 mg jusqu’à 2 ou 3 g par jour. Depuis une vingtaine d’années le traitement de la douleur fait plutôt appel au Paracétamol qui n’entraîne pas de maux d’estomac et ne facilite pas les saignements.
Cependant l’aspirine, à petite dose quotidienne, est devenue indispensable dans les traitement cardiologiques au long cours, grâce à ses propriétés dites anti-agrégantes, c’est à dire empêchant la formation de petits caillots de plaquettes sanguines dans la circulation. Cet effet est lié à l’inhibition de substances appelées prostaglandines et à la diminution de l’inflammation, que l’on reconnaît comme l’un des éléments responsables des problèmes cardio-vasculaires.
Il est très vraisemblable que c’est précisément cet effet anti-inflammatoire et anti-prostaglandine qui peut expliquer un effet favorable sur la survenue et l’évolution de certains cancers.
Mais comment a-ton pu mettre en évidence cet effet favorable : est-ce grâce à des essais cliniques comparatifs ?
En fait on dispose d’un suivi à long et même à très long terme de l’utilisation de l’aspirine à faible dose en continu, grâce aux milliers de patients à risque cardio-vasculaire à qui ce traitement a été prescrit, et qui ont été surveillés non seulement vis à vis des événements cardiaques mais aussi de tous les événements notables, notamment les cancers, et, lorsque ces personnes sont décédées, des registres ont pu fournir les causes du décès. Ces populations ont pu être comparées à des sujets de même tranche d’âge ne prenant pas d’aspirine, et cette comparaison à grande échelle fait donc l’objet de deux études britanniques majeures, publiées dans Lancet du 20 novembre et du 7 décembre, et dont le premier signataire est Peter Rothwell.
On doit distinguer deux aspects de ces études comparatives, (aspirine ou pas d’aspirine) : celui de la fréquence des cancers du colon et du rectum, et celui de la mortalité dûe aux différents cancers, digestifs ou non.
Pour le cancer du colon et du rectum, avec un suivi de 20 ans, la prise d’aspirine pendant au moins 5 ans, à partir de petites doses de l’ordre de 75 mg/jour jusqu’à 1,2 g/jour, a permis d’observer une réduction de l’ordre de 35 à 50 % de survenue de tels cancers.
Pour l’ensemble des cancers, il ne s’agit pas de la survenue mais de la mortalité, mais les résultats sont significatifs et importants :
Sur un effectif suivi de plus de 25.000 patients, suivis dans le cadre du traitement ou de la prévention cardio-vasculaire, la prise régulière d’aspirine a montré une moindre survenue de décès par cancer de l’ordre de 20 %, et ici également une réduction encore plus importante des cancers du tube digestif. Ce bénéfice apparaît à partir d’au moins 5 années de traitement, augmente avec la durée, et avec l’âge de la personne traitée
Quelles conséquences peuvent-elles être tirées de ces publications : doit-on prendre de l’aspirine en prévention systématique du cancer ?
Et j’ajouterais bien sûr des maladies vasculaires ?.. Sans doute pas pour l’instant, et d’ailleurs l’étude chez des médecins anglais de la prise en prévention cardiaque n’était pas concluante, et par ailleurs il y a aussi le risque de saignements plus faciles..
Ceci étant, la prise continue à petite dose chez les patients les plus à risque de cancer du colon va peut-être être recommandée, comme le suggère un commentaire de gastro-entérologues français dans le Lancet.
Plus généralement cet effet favorable permet d’avancer dans la compréhension du mécanisme des cancers, la place de l’inflammation chronique par exemple.
Avant de prescrire cette prévention généralisée, il convient d’attendre les résultats à encore plus long terme, d’étendre aux femmes les études, et de balancer les risques et les bénéfices, mais la balance paraît pour l’instant favorable à l’aspirine ;
Un « vieux médicament » peut donc être d’avenir ?
Il est réconfortant, dans un temps où certains médicaments doivent être retirés n’ayant pas été assez surveillés ou évalués, de voir que leur ancêtre a des vertus dans les 2 grands fléaux que sont les maladies cardio-vasculaires et les cancers.
Ce qui est également une ironie de l’histoire de la pharmacologie et de la pharmaco-vigilance, c’est que l’aspirine ne recevrait sans doute pas aujourd’hui son « autorisation de mise sur le marché », en raison des irritations gastriques et des risques de saignement !
Ecouter la chronique du Pr Alain Krivitzky, RFI, 17 décembre 2010
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